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Le blog du recrutement médical
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18 juin 2012

Peut-on échapper aux cadences infernales ?

Dans les déserts médicaux, de plus en plus de généralistes sont confrontés à la suractivité médicale. Par choix pour certains mais, souvent par contrainte ou par nécessité. Il n’existe ni norme déontologique, ni véritable réglementation sur la suractivité. Jusqu’à ce qu’un confrère du Pas-de-Calais défraye le mois dernier la chronique avec des pics à plus de 150 actes quotidiens...

Le verdict est tombé comme un couperet pour le Dr Christian Douilly. Médecin généraliste à Auchel, dans le Pas-de-Calais, il a été condamné par le Conseil national de l’Ordre des médecins, en mai dernier, pour « suractivité incompatible avec la qualité des soins et plusieurs irrégularités constatées ces dernières années ». « Le Dr Christian Douilly est un médecin généraliste qui exerce depuis plus de 20 ans et qui a consacré sa vie à ses patients. Il vit cette décision comme une double sanction à la fois professionnelle et personnelle », relate Maître Caroline Kamkar, son avocate. Depuis une semaine son téléphone ne répond plus. Le médecin a en effet été contraint de fermer son cabinet pour deux mois. Accusé d’avoir rédigé de 99 à 150 actes dans la même journée, le praticien se défend de toute irrégularité. Et, c’est peut-être une première- sa défense invoque la désertification médicale qui touche son secteur. « Mon client a trop de patients, mais il devrait faire quoi, les refuser ? Il est victime de sa suractivité parce que c’est un médecin à l’ancienne dans un désert médical. Et il n’est pas le seul aujourd’hui à vivre cette situation dans la région », plaide son avocate. Avant de conclure : « D’un côté on le critique parce qu’il fait trop d’actes, mais en réalité c’est un médecin qui arrange parce que cela permet aux autres généralistes d’avoir une activité normale ».

Pour l’Ordre (voir ci contre), le cas du Dr Douilly n’est pourtant pas représentatif des médecins qui sont en suractivité. Néanmoins ce genre de contentieux interpelle. Auditionné par des députés il y a un an sur les activités de la section des assurances sociales de l’Ordre, Michel Filliol son secrétaire général adjoint du Cnom ne cachait pas que les abus d’actes posaient parfois question: «on ne peut sanctionner un médecin simplement à partir de chiffres. Il nous faut les analyser pour déterminer s’il y a véritablement une intention du médecin ou si un nombre important de consultations résulte de la démographie médicale, par exemple lorsqu’un médecin se retrouve seul dans un cabinet, alors que trois médecins étaient présents auparavant.

Pas d’ardenal répressif de la Sécu

Le Dr Claude Bronner d’Union Généraliste (FMF) va plus loin en affirmant que « la CNAM n’a rien compris au problème ». « S’ils veulent qu’on fasse quatre actes l’heure, qu’ils nous salarient et nous mettent tous dans des centres de santé ! Pourquoi faire la chasse à des professionnels de santé qui répondent aux demandes ? » Pour lui, si 150 actes c’est un peu extraordinaire, 80 actes par jour c’est possible, mais surtout « les généralistes qui vont facilement au-delà de 50 actes par jour sont nombreux ne sont pas une minorité, » alors que la Sécu établit une moyenne bien inférieure : entre 22 et 25 actes par jour par généraliste en activité hors MEP.

La Sécu se garde bien néanmoins de donner une définition d’un seuil d’activité maximum. Pour établir si un médecin dépasse les bornes, ce qui serait signe pour elle d’actes fictifs ou d’une mauvaise pratique de la médecine, l’Assurance-maladie à l’habitude de relever tout simplement, les anomalies statistiques. C’est-à-dire que ses logiciels, comparent le volume d’activité d’un médecin donné à la fois à la moyenne nationale et locale. Si cela permet de repérer les méga-prescripteurs, qu’en est-il des stakhanovistes ? La question interpelle d’autant plus que la Sécu ne dispose pas d’un arsenal répressif à leur égard. Pourtant, le phénomène est bien là, même s’il n’est évoqué que lorsque certains praticiens sont proches de la surchauffe. Qui ne se souvient du drame qui avait touché, il y a deux ans, la famille du Dr Emmanuel Bécaud. Ce généraliste de Vendée avait tué sa femme et ses quatre enfants, avant de se donner la mort, par pendaison, au rez-de-chaussée du domicile familial. Un problème de surmenage avait été évoqué alors que le maire de Pouzauges, la ville où il habitait, l’avait décrit comme un médecin « investi dans sa profession » et qui « avait le souci du devenir de la médecine en zone rurale ».

Une pression démographique intenable

Sans en arriver là, certains confrères des campagnes sont désormais soumis à des cadences infernales, comme en témoigne le Dr Marie-Hélène Gras-Gonin. Généraliste à La Chapelle de la Tour, en Isère, elle affirme s’être retrouvée « toute seule pour un village de 1 700 habitants », alors qu’un confrère avait dévissé sa plaque pour un travail salarié dans le village d’à côté. Et les jours de pont, la zone géographique virtuelle qu’elle doit couvrir est de 6 000 habitants estime-t-elle. Elle travaille peu sur rendez-vous - « ça bloque le nombre de places » dit-elle – et préfère les consultations libres pour y insérer, au besoin, une visite d’urgence voire des petits actes chirurgicaux. Le premier hôpital est situé à 15 km de route. Ainsi, les médecins de campagne sont obligés de tout faire ! Même vécu du côté du Dr Bruno Nagard, de Nivillac, dans le Morbihan. « C’est la catastrophe depuis que l’année dernière un de nos confrères est parti à la retraite et un autre a dévissé sa plaque, on est en sous-effectif ! » s’alarme-t-il. Néanmoins, ce confrère affirme avoir fait le choix de limiter à 30 actes par jour son activité « pour ne pas me retrouver en situation de burn out ». En 1997, cet ancien urgentiste originaire de Paris avait choisi « par goût » de venir s’installer à la campagne. S’il affirme « ne pas regretter son choix » de devenir médecin de campagne, il assure que « la pression démographique devient difficilement tenable » et que « si la situation continue à empirer, je dévisserai probablement moi aussi ma plaque pour aller vivre plus tranquille ».

Secrétaire générale à l’UNOF-CSMF, Le Dr Luc Duquesnel qui exerce en maison de santé, en Mayenne, le confirme : « les généralistes qui exercent dans des zones rurales qui souffrent de problèmes de démographie médicale ont une activité importante ». À titre d’exemple, l’activité d’un généraliste en Mayenne dépasse de 20 % la moyenne nationale. Il ne s’agit pas seulement d’enchaîner les consultations. Selon lui, « les médecins de campagne font automatiquement plus de visites que leurs confrères des villes parce qu’ils ont une patientèle plus âgée et plus souvent en ALD qu’il faut aller voir au domicile ou en maison de retraite ». Un vieillissement qui n’épargne pas, d’ailleurs, les médecins eux-mêmes. Souvent plus âgés que leurs confrères des villes, ces généralistes en détresse « doivent assurer la permanence des soins (PDS), ce qui se surajoute à leur activité libérale », s’inquiète le Dr Duquesnel. Alors que dans les zones urbaines, les généralistes peuvent compter sur le relais d’associations comme SOS médecins.

Faire des gardes la nuit, c’était le cauchemar du Dr Guillemette Reveyron, qui a quitté, en 2009, l’Ain pour la région PACA : « réquisitionnée la nuit, je n’y arrivais plus » avoue cette grande gueule à l’origine de l’association REPOS. Après un an en tant que salariée, elle a fait le choix d’un mode d’exercice mixte, ce qui lui permet aujourd’hui de jouir d’une protection sociale tout en gardant une partie de sa liberté avec son activité en cabinet. Néanmoins, les nuits passées à assurer la PDS, à la campagne, elle s’en souvient encore : « cela peut vous paraître bizarre, mais je suis quelqu’un qui a besoin de dormir la nuit, avant d’enchaîner sur une journée de boulot » ironise-t-elle avant de préciser : « ce qui m’a fait fuir n’est pas le surmenage en soi mais les heures de travail ». Cette mère de famille de cinq enfants, en souffre encore : « obliger un médecin à aller au de-là de ses forces, c’est quelque chose d’inhumain, de bestial ». Son mari, lui, est resté. Repartir de zéro ? Se refaire une clientèle ? Ce n’était peut-être pas le souhait du Dr Régis Therme. Également généraliste, il continue d’enchaîner les consultations toutes les quinze minutes et assume son choix de médecin de campagne à Chatillon-sur-Chalaronne.

Craquer, fuir ou s’adapter ?

Partir ? « Ce n’est pas envisageable pour l’instant mais qui sait… » Fuir les cadences infernales, être parachuté dans un département à haute démographie médicale ? Ces médecins généralistes de campagne en rêvent et parfois le mettent en pratique. Le Dr Duquesnel le confirme. En Mayenne, en l’espace de dix ans (entre 2000 et 2010) parmi les généralistes qui ont cessé leur activité, un tiers est parti à la retraite, un tiers a fait le choix du salariat et un tiers a choisi l’exercice libéral… en dehors du département ! « Quand les conditions d’exercice sont pénibles, elles incitent les généralistes à cesser leur activité avant l’âge de la retraite pour faire autre chose quitte à se réorienter vers le salariat ou à déménager dans des zones moins défavorisées, » analyse le Dr Duquesnel qui rappelle que beaucoup de médecins installés aujourd’hui en zone rurale dans des cabinets individuels ont vissé leur plaque dans les années 1980 quand, loin des déserts médicaux d’aujourd’hui, l’offre de généralistes était pléthorique. « Les nouveaux arrivés, pour avoir l’assurance d’avoir une activité et une clientèle, s’éloignaient des villes et partaient s’installer en zone rurale » raconte-t-il.

C’est le cas de deux généralistes mayennais : le Dr Jean-Yves Savidan, d’Evron et le Dr Jean-François Sallard, de Javron-les-Chapelles. Médecins de famille « à l’ancienne », ils ont vu la situation se détériorer et leur emploi du temps exploser. Leurs épouses sont leurs secrétaires : « heureusement – se réjouit le Dr Savidan – ça nous permet de nous voir ! » « J’ai la chance d’avoir mon épouse qui fait les comptes, qui range le cabinet, qui s’occupe de la prise de rendez-vous ! » lui fait écho le Dr Sallard. Parce que si ces médecins enchaînent consultations et visites à domicile, en zone rurale, ils se doivent d’être multitâches. Le nombre d’actes effectués n’est alors que la face visible de l’iceberg. Généraliste en libéral, le Dr Savidan est aussi coordonnateur des soins de suite et médecin dans l’hôpital local. Pour le même établissement hospitalier, il est également le référent en matière de soins palliatifs et, pour ce faire, il est en train de suivre une formation au CHU de Rennes. Il estime travailler entre 70 et 80 heures par semaine. Un chiffre supérieur à la moyenne nationale qui se situe entre 52 et 60 heures par semaine, selon la dernière étude de l’IRDES sur le temps de travail des médecins généralistes, publiée en juillet 2009. Environ 200 actes par semaine sont facturés par le Dr Savidan, un chiffre sensiblement plus elevé que la moyenne. Mais trois fois par mois, la nuit et le week-end, le Dr Savidan est aussi médecin régulateur. « Je travaille beaucoup – reconnaît-il - j’ai 60 ans, ça me pèse, je préférerais souffler mais je n’ai pas le choix ! »

Alors, ces médecins de campagne seraient-ils condamnés aux travaux forcés ? Comme le Dr Savidan, son confrère de Mayenne, le Dr Sallard a déjà commencé à refuser d’être médecin traitant (MT) pour des nouveaux patients. En dehors de son secteur il dit non. Et il ne reçoit que sur rendez-vous… « L’avantage d’exercer en zone désertifiée c’est qu’il n’y a plus de concurrence, tous les collègues font pareil ». Sa façon à lui de se protéger du surmenage. « Il y a vingt ans – se souvient-il – je prenais un mois et demi de vacances. Aujourd’hui j’essaye plutôt de concentrer tous mes rendez-vous sur la semaine pour pouvoir partir en week-end ! » Les internes de celui qui est aussi maître de stage ne paraissent pas très motivés pour s’installer à la campagne et, en général, même pour faire des remplacements, ils préfèrent les grandes villes.

La solution ? Luc Duquesnel y a réfléchi. Le syndicaliste suggère des maisons de santé entourées de cabinets secondaires satellites où les médecins iraient exercer de temps à autre. Pour sa part, le Dr Christian Sadek, généraliste à Cazals, dans le Lot, semble l’avoir trouvée dans des ordonnances renouvelables pendant trois à quatre mois, mais surtout dans sa nouvelle recrue. Il s’appelle Dr Marcel-Marie Gricourt et il a… 70 ans ! Depuis son arrivée, comme depuis celle de trois nouveaux médecins (dont une femme médecin originaire de Roumanie qui n’est finalement pas restée faute de patients), le Dr Sadek affirme se sentir « soulagé » et travailler à un rythme plus équilibré : quatre jours par semaine (des grosses journées de 13-14 heures), 25 actes par jour et 780 patients MT (la moyenne se situant à 844 selon l’Assurance-maladie). S’il en refuse des nouveaux, ce n’est donc pas par peur d’être surméné mais pour permettre aux nouveaux -à commencer par le Dr Gricourt- de constituer leur propre clientèle : même à son âge il ne se voit pas rester sans activité et, sans forcer, il arrive facilement, selon les affirmations du Dr Sadek, à faire 14-15 actes par jour !

Dossier réalisé par Giulia Gandolfi avec Caroline Laires-Tavares et Paul Bretagne
http://www.legeneraliste.fr/layout/Rub_ACTU.cfm?espace=ACTU&id_rubrique=1012&id_article=33823
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